19/09/2020
Suzanne Dracius auteure, autrice
Bonnes Journées du… Matrimoine !
C'est l'anniversaire de l'Insurrection de Septembre 1870, où s’est illustrée LUMINA SOPHIE DITE SURPRISE, l'héroïne éponyme de mon fabulodrame, dont le texte a inspiré Nmdeal Man pour sa chanson « Car notre union » interprétée par Nicole Victorin ; le rôle de Lumina a aussi été lumineusement interprété par Maddy-Nina Pamphile, et celui de la Muse Africa par Appoline Steward.
Sud de la Martinique, septembre 1870
LUMINA, ayant pris un journal et parcouru quelques lignes, l’air scandalisé. — Vingt-deux carêmes neufs, Rosalie, ont asséché nos terres du Sud depuis que nous sommes des gens libres…
Le Chœur vérifie l’état de la tranchée en cours d’achèvement et consolide la barricade à l’aide de sacs de sucre qu’il transporte du cabrouet au remblai.
Rosalie, très attentionnée, s’occupe d’abord de Lumina avant de se soucier d’elle-même.
ROSALIE, éventant et rafraîchissant Lumina avec son madras. — Tu naissais, oui, Lumina chère !
LE CHŒUR, faisant la chaîne avec les sacs de sucre. — Tu découvrais le jour, Lumière, à la même aurore que ton peuple…
Simonise a allumé un boucan sous les « trois pierres » du foyer et y prépare un onguent.
LUMINA, tapant sur son journal. — Pourtant j'ai l'impression d'être en bas du joug, toujours... Ils ont fini par mettre un terme à cette histoire d'esclavage, mais le maître est resté le tyran, l'esclave est toujours asservi.
ROSALIE. — À quoi bon être soi-disant libre, si c’est pour rester casé sur la même habitation, sans avoir le droit d'en changer, depuis ces saletés d’arrêtés Gueydon ?
LUMINA. — Passer de la condition servile au travail salarié ? ! Mi couillonnade, hein, si tu es obligé de présenter ton livret ouvrier et ton passeport intérieur, chaque fois que tu veux te déplacer d'un quartier à un autre, sinon tu es accusé de vagabondage !…
ROSALIE. — Et encore, si tu l'as, le passeport, si Monsieur le Maire veut bien te le « délivrer », quand tu as pris tes seize ans, à condition que tu paies l'impôt ! (En donnant un coup de hanches.) Et avec quoi tu le paies, l’impôt, avec quel argent, han ?
LUMINA, lisant, ironique, des passages extraits du journal. — « Article 28 : Toute personne qui n'aura pas de passeport devra payer une amende de cinq à cent francs… »
ROSALIE. — Autant dire cinq à cent journées de travail…
SIMONISE. — Autant dire l'impossible…
LE CHŒUR, en crescendo, solennel et ironique. — Autant dire LA MORT !
LUMINA, scandant, sardonique, en lisant à haute voix. — « Quiconque n'a pas payé l'amende dans la quinzaine des poursuites est, de plein droit, contraint de fournir des journées de travail, à l'Atelier Disciplinaire, constitué à cet effet à Fort-De-France »…
Elle reprend sa lecture silencieuse.
Simonise goûte sa pimentade, grimace et recrache.
ROSALIE. — Il faut les voir, ceux qui en réchappent : on les aurait dits passés dans la broyeuse à bagasse ! Et les femmes, qui retournent du camp des Pitons !… De véritables zombis. J’en ai vu qui éternuaient leurs dents !
SIMONISE. — Tu crois que c'est pour leur offrir une doucine qu'on les expédie à Foyal faire des travaux forcés ?
ROSALIE. — Moi personnellement, je n’y entends rien dans tout ça.
Lumina prête l’oreille.
SIMONISE. — Tout ce qu'il y a à retirer là-dedans, c'est que c'est encore un moyen de nous faire trimer pour rien.
LUMINA, brandissant son journal. — Si tu avais appris à lire, au lieu de drivailler dans les ti-bandes, tu serais plus à l'aise pour comprendre…
ROSALIE — Tchip ! Toi, tu sors du Morne Raquette… Tu as pu te débrouiller pour aller en classe au Marin. En ce qui nous concerne, à Rivière-Pilote, on a été les derniers servis. Il y a à peine quelques mois que les bonnes sœurs de Cluny ont ouvert au bourg une « Institution Primaire pour Filles ». À quel moment on a eu le temps d’y aller ?… Ma chère, on est déjà grandes !
LUMINA, frappant violemment le journal et l'agitant sous le nez des Pétroleuses. — N’empêche… Il y a des choses qu’il faut savoir. Et la plupart sont marquées là. Vois ça, par exemple ! Je n'invente rien : c’est dit au Conseil Général ! C’est un gros planteur qui laïusse…
ROSALIE. — Ah bon ? Et qu'est-ce qu'il raconte ?
SIMONISE. — Je me moque bien de savoir ce qu'ils ont à dégoiser, ces bourreaux-là !
LE CHŒUR. — Tu as tort : savoir, c'est pouvoir.
LUMINA. — Au lieu de chigner, laisse-moi te lire comment mussieu a osé baratiner, sérieux comme un pain de quat’sous : (Elle toussote pour s'éclaircir la voix et lit.) « Quand je frappe un employé, c'est parce que je pense que son devoir et son intérêt sont de marcher avec moi ; je suis persuadé que je défends l'intérêt général, et chaque fois que cet intérêt l'exigera, je n'hésiterai pas à remplir ce que je considère comme un devoir. »
Suzanne Dracius auteure, autrice, extrait de LUMINA SOPHIE DITE SURPRISE, Médaille d'Honneur de Schoelcher.
Disponible en librairie (PresenceKreol, Présence Africaine Editions, Fnac Martinique etc) et en ligne. Pour commander en ligne (vendeur indépendant, « politiquement correct », pas « esclave » du géant) :
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Ed. Idem, 2005.
12,80 €.
(Sources : journaux de l'époque, conservés à Versailles.)